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Chiara KHATOUNIAN (ELFS, 2008), être assistante sociale dans un pays en crise

Témoignage

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07.01.2020

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J’ai hésité en choisissant le titre de cet article. Il m’était dicile de juger si le pays est en crise ou dans son état habituel. Je ne sais pas dans quelles circonstances vous êtes nés. Mais moi, je connais les miennes. Je suis née pendant la guerre et j’ai une petite trace sur mon sourcil d’une plaie guérie sans suture car l’hôpital était inaccessible. Et depuis, de plaie en plaie, je ne cesse de tenter des cicatrisations sans sutures. 

Je me suis retrouvée à peine « adulte » à choisir un métier qui essaie de cicatriser les plaies invisibles des autres. Être assistante sociale au Liban n’est pas chose facile, croyez-moi. 

J’ai commencé à travailler avec les jeunes étudiantes et étudiants au service social de l’Université Saint-Joseph en 2008. Avec douze années d’expérience, je me sens des fois désarmée face aux yeux larmoyants de ces jeunes supposés être pleins de vie. Ils sont en insécurité, blessés dans leur identité de jeunes Libanais. Ils se sentent coupables envers leurs parents de désirer un projet d’études. Ils ont la volonté, la capacité, l’envie et toutes les qualités requises pour briller. Cependant, ils n’osent plus dire qu’ils ont du plaisir à apprendre, ou peut-être ils ne l’éprouvent plus, ce « plaisir interdit », tellement la situation économique devient pénible. 

La grande majorité d’entre eux veut nir ses études pour voyager ; certains ont décidé même de les arrêter pour les continuer ailleurs. D’autres restent, coincés ici pour le moment. 

Et leurs parents ? Ces papas qui viennent pleurer dans mon bureau, qui me disent ne plus pouvoir assurer les besoins quotidiens de leur famille et qui me demandent de les décharger de devoir révéler un jour à leur enfant qu’il ne pourra plus continuer ses études. Et puis ces mamans qui veulent tout dire pour me convaincre que leur enfant est le plus intelligent et le plus méritant pour obtenir une aide nancière maximale. 

Si j’écris aujourd’hui, c’est parce que je leur dois de ne pas garder le silence. Ils ont eu conance en moi, ils m’ont permis de rentrer dans l’intimité de leur situation familiale et nancière, et dans les détails de leur vie. Je me suis engagée avec eux dans un processus partenarial pour gérer ensemble ces dicultés. J’ai tâché d’écouter leurs projets, leurs rêves, leurs envies parce qu’ils ont le droit de les penser. J’essayais de panser leurs blessures en leur permettant de penser l’impensable dans ce pays. Ce Liban que nous continuons à aimer quoiqu’il nous blesse dans notre dignité. 

Aujourd’hui, je peux vous assurer que nous sommes en danger. Le coronavirus, la crise économique, la corruption et beaucoup d’autres problèmes ne constituent pas le véritable danger. Le danger, c’est le développement biopsychosocial d’un enfant de parents anxieux, la jeunesse des jeunes tristes, incapables de se projeter dans un avenir, la vie adulte des adultes épuisés et le vide chez nos aînés dépourvus de droits. Aucun âge dans ce pays n’a le droit de « jouer ». Et dans un monde sans jeu, le « je » est en grande crise ! 

Si vous voulez un changement, déshabillez-vous de ce sentiment d’impuissance que les hommes au pouvoir nous ont collé à la peau. Ces arrogants qui se permettent de nous voler nos rêves. 

Je m’adresse à vous, les jeunes, pour témoigner que le service social de l’USJ a toujours été là et le restera auprès de chaque jeune des 4591 étudiantes et étudiants qui l’ont sollicité cette année. Les demandes d’aide nancière sont en expansion et nous œuvrons pour que chacun et chacune puissent gérer et trouver le budget dont ils ont besoin pour nancer leurs études. 

Je m’adresse à vous, les parents. Tenez bon et encouragez-les à faire le premier pas vers nous. Nous leur orirons un cadre sécurisant pour avancer malgré les obstacles. Je m’adresse à vous, tous les autres. Si vous voulez transformer les dicultés en opportunités, tenez-vous auprès des jeunes. Aidez-les à alléger le souci nancier de leurs familles à travers des donations pour des bourses universitaires. Ils le méritent. Investissez-en eux, vous gagnerez beaucoup lorsque vous permettez à toute une famille de croire de nouveau en la vie ! 


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