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Les multiples vies de Samir Saleh

Hommages

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20/01/2025

Samir Saleh est titulaire d’une licence libanaise et française en droit de la Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP) de l’USJ, obtenue en 1952. 

Quatre années après sa triste et brutale disparition, liée à la première vague sauvage et ravageuse de l’épidémie de la Covid, le 30 janvier 2021, veille de son anniversaire de naissance, il est important d’évoquer le souvenir singulier, énigmatique et lumineux de Samir Saleh, tant à un niveau personnel, que dans la mémoire collective de ceux qui l’ont connu.

Certes il est facile de revenir sur le parcours professionnel précurseur, éclatant et novateur, de celui qui fut « la première personne, originaire du monde arabe, à être nommée vice-président de la cour internationale d’arbitrage en 1982 de la CCI » et qui laissa une pléthore d’ouvrages de référence et d’articles inédits dans ce domaine. Sa notoriété est attestée par les innombrables articles disponibles sur internet et dans les bibliothèques spécialisées à ce sujet (notamment grâce au Professeur Nassib G Ziadé : La BCDR rend hommage à Samir Saleh en lui dédiant des Mélanges et la remarquable préface de l’ouvrage lui-même).

Toutefois, il me plait de revenir sur un autre aspect existentiel, à la fois intime et universel de Samir Saleh, méconnu du grand public et dont j’ai pu bénéficier, ayant eu le grand privilège de faire partie de son entourage proche, intellectuel et amical, durant plus de quatre décennies. 

Samir Saleh fut un érudit, un esthète, un homme raffiné, un philosophe de la vie, un critique social, un poète, avec une œuvre assidue, publiée sous pseudonyme, de plus d’une demi-douzaine de titres et surtout un immense mélomane. Il fut à la fois un homme pudique, classique, secret et un agitateur au talent transgressif voire provocateur. Un idéaliste acharné et un pragmatique lucide. 

Son premier recueil de poèmes en vers libres a été publié en 1984 à Dar Annahar (Toufic Ramsi, dans dictionnaire de la littérature libanaise de la langue française de Rami Zein chez l’Harmattan en 1998, pages 373 et 374) suivi de plusieurs autres publiés au fil du temps en France et qui relèvent de la même veine. Samir Saleh s’insurge contre la violence de la guerre et des armes et exprime la dénonciation parfois crue de la bêtise humaine et de l’hypocrisie sociale. Il faudra un jour refaire l’inventaire raisonné de ses écrits qui traduisent une constance et une véritable continuité.

 La guerre du Liban a été un cataclysme pour lui comme pour toute sa génération, foudroyée à son apogée et qui dut s’exiler et tout recommencer à zéro, souvent dans des conditions très difficiles. Ils furent mutilés de la première moitié de leur vie. Ce fut un véritable traumatisme et une errance car leur univers vola en éclats et les écrits de Samir Saleh restituent cette fragmentation douloureuse.

 Au moment où nous nous apprêtons à commémorer le demi-siècle du déclenchement de la guerre le 13 avril 1975, nous réalisons l’impact de la tourmente sur l’élite intellectuelle et la société civile au Liban, livrées au désarroi et au naufrage. Tout ce que les Libanais avaient construit de manière fulgurante et prospère durant un demi-siècle (depuis 1926) partait à la dérive.

Samir Saleh fut un libre penseur et toute sa vie fut un témoignage de liberté tant dans ses œuvres (vers libres) que dans sa manière d’être. Un être paradoxal qui cultiva à la fois la fidélité et les ruptures quand elles s’imposaient car il ne tolérait pas les compromissions, par rapport aux choses essentielles. C’était un idéaliste blessé à vif et inguérissable, un vrai explorateur des mondes parallèles, un rescapé miraculeux des mondes fracturés et engloutis. Autant il s’était illustré de manière magistrale dans la rationalité rigoureuse de sa profession, autant il restait radical et intransigeant dans son expression de lui-même. 

On ne peut appréhender cette personnalité complexe et extrême qu’en intégrant son goût de la perfection, de la maîtrise, de l’authenticité et de l’aboutissement. Il conservera toute sa vie cette attitude fière et assurée mais également rongée de doutes et de remises en question : un homme torturé qui interroge   sans cesse, face à la vanité, la futilité des hommes et l’absurdité de la guerre, un cri déchirant dans la nuit. La terreur et la mort ont révélé une prise de conscience qui finit par ressembler à une impasse existentielle quasi obsessionnelle.

Mais ce qui sauva Samir de l’enfer et de la damnation fut son amour de la musique classique. Il fut un interprète merveilleux d’un niveau quasi professionnel et dès qu’il se mettait au piano il était littéralement transfiguré, libre de ses entraves et pouvant livrer son âme. La musique consolatrice, émancipatrice, salvatrice, rédemptrice.

Je me souviens toujours très distinctement, quarante-cinq ans après, de mon éblouissement juvénile la première fois où j’ai écouté de manière quasi religieuse son interprétation d’une valse de Chopin (il connaissait les 18 valses à la perfection). Ce moment s’est gravé comme une forme humaine d’éternité mémorielle que je peux ressusciter à ma guise .IL me suffit d’entendre les premières notes et de fermer les yeux pour le voir ressurgir devant moi ,traversant le temps ,penché sur son piano, faisant corps avec lui. 

C’est pour cela que ce fut un vrai bonheur de voir que sa fille Zeina a rapatrié de Londres depuis son décès (où est établie Yasmina qui avait accompagné son père dans sa dernière traversée) ses livres et son piano, ses deux grandes passions et a ouvert généreusement sa maison (Beit Tabaris comme ils l’appelaient en famille) aux jeunes talents musicaux libanais.

 C’est une résidence d’artistes avec un programme continu et exigeant de master classes et de concerts, pour soutenir la création et la vocation et transmettre aux nouvelles générations. Zeina a consacré déjà plus de 25 ans de sa vie, à la reconnaissance et à la promotion dans son ensemble de la musique savante libanaise (plus de 11 livres publiés et la création d’un centre d’archives musicales à Jamhour CPML. Espace Robert Matta).

Cette belle demeure à l’ancienne, rue du Liban, sur ce qui fut la ligne de démarcation, a connu plusieurs gloires et beaucoup de vicissitudes. Elle fut plusieurs fois détruite et restaurée et tout récemment le 4 Août 2020 soufflée totalement par l’explosion criminelle du port de Beyrouth, quelques mois avant la triste et chagrine disparition de Samir Saleh.

Elle a ramené Samir chez lui dans sa maison, son imposante bibliothèque et son piano au centre du salon aménagé avec un infini goût au temps des jours heureux par son épouse la brillante Josette qui publia avec son cousin André Sioufi en 1974 chez Privat en France « Les 6001 jours du Liban ». Ce fut le premier ouvrage   de référence, illustré en français de l’Histoire du Liban. Pour moi aussi à l’époque, ce fut également une immense découverte, à l’échelle d’un pays qui partait en lambeaux.

Ce retour après un demi-siècle est comme une revanche sur le malheur et le temps qui passe, une victoire symbolique sur la mort terrestre, une forme de retour aux sources et un désir de passage de relais. C’est comme un testament culturel et identitaire de ceux qui ont survécu aux épreuves et à l’hécatombe.

Les jeunes qui viennent aujourd’hui de manière régulière ou passagère à Beit Tabaris ne connaissent pas cette belle histoire de vie, qui est aussi l’histoire d’un pays qui n’a cessé de résister et d’être solidaire, d’un paradis perdu et retrouvé. 

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