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Est-il temps de partir ou de rester ?

Témoignage

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07.20.2023

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Un pays est bien plus qu’un simple lieu de vie, c’est une identité...

Depuis le début de la crise actuelle au Liban, les Libanais sont confrontés au dilemme constant : faire face aux difficultés économiques et sécuritaires ou quitter le pays et migrer vers d’autres horizons. Pour résoudre ce dilemme, chacun se base sur des systèmes de valeurs, de considérations et de croyances différents, ce qui le conduit à prendre une décision qui lui est propre.

La première considération réside dans le choix entre l’individualisme et le collectivisme. Ce sont deux concepts opposés en termes de valeurs et d’orientation sociale. L’individualisme met l’accent sur l’autonomie et la liberté de l’individu tout en valorisant la poursuite des intérêts personnels. Le collectivisme, quant à lui, met l’accent sur l’importance du groupe ou de la collectivité tout en accordant une priorité aux intérêts collectifs plutôt qu’aux intérêts individuels.

Les pays occidentaux prônent clairement l’individualisme bien que celui-ci est l’un des facteurs qui sous-tendent partiellement la criminalité, le chômage, la corruption, le divorce, la toxicomanie et bien d’autres malheurs. Dans les pays orientaux, c’est le collectivisme qui prévaut. La famille, la confession, la région d’origine, la langue, l’ethnie, la race, etc., déterminent des groupes qui choisissent et décident à la place de l’individu. Dans le cas du Liban, la mosaïque du collectivisme et de l’individualisme le rend singulier. L’individualisme du Libanais le pousse à chercher des solutions en dehors de son pays, tout en se considérant collectiviste, car cela se fait soit en famille, soit pour le bien-être de la famille ! Cependant, cela prive effectivement le pays d’intellectuels et de professionnels capables de contribuer à la renaissance du Liban.

La deuxième considération que les Libanais évaluent est le degré de gravité de la dépression collective dans laquelle ils se trouvent. En effet, des penseurs tels que Lebon, Freud, Durkheim et d’autres ont avancé l’hypothèse selon laquelle les individus vivant en groupe peuvent manifester des troubles de santé mentale de manière collective. Bien que ces données ne soient pas considérées comme des preuves scientifiques concluantes, elles nous indiquent que face à un stress généralisé, nous pouvons tous présenter une réponse généralisée. N’est-ce pas ce que nous avons tous manifesté suite à l’explosion du 4 août 2020 ? De plus, les études de recherche menées par Seligman et ses collaborateurs ont démontré que les êtres vivants peuvent apprendre à ne plus essayer d’atteindre un but après plusieurs tentatives échouées. Même si les circonstances environnementales changent, les êtres vivants conscients de leurs capacités ainsi que de leur impact sur leur environnement peuvent adopter une attitude d’impuissance acquise, qui est à la base du concept du comportement décrit dans le cadre de la dépression. N’est-ce pas ce que nous avons manifesté lors des énormes manifestations qui se sont étendues de 2005 à 2021 et qui ont été confrontées par l’immobilisme de ceux qui détiennent le pouvoir ? Ainsi, ne pouvons-nous pas considérer que les Libanais sont plongés dans une forme particulière de dépression collective ?

La troisième considération concerne l’illusion selon laquelle les êtres humains vivent mieux dans d’autres pays du monde. Il s’agit d’une série d’erreurs cognitives et perceptives qui renforcent l’idée que quitter le Liban serait une bonne alternative. Parmi ces erreurs, on trouve la surgénéralisation, qui consiste à tirer une conclusion générale à partir d’un seul événement ou d’une seule expérience, et à l’appliquer à toutes les situations similaires, même si les circonstances peuvent être différentes. De plus, la pensée dichotomique est une autre erreur cognitive, qui consiste à percevoir le monde en termes d’oppositions extrêmes ou de catégories strictes, sans tenir compte des nuances et des variations possibles entre les deux extrêmes. Enfin, ces erreurs englobent également la minimisation du positif, où une personne sous-estime, ignore ou rejette les expériences, les réalisations ou les retours positifs, en accordant un poids excessif aux aspects ou aux événements négatifs. À l’ère de la mondialisation, nous sommes beaucoup plus objectivement informés des réalités qui nous attendent lorsque nous quittons notre pays. Cependant, nos ancêtres étaient souvent désillusionnés par l’idée de la migration et ne la choisissaient que lorsque cela devenait une obligation. Par conséquent, est-ce que Élissar, fille du roi de Tyr, aurait été attirée par Carthage si ce n’était pas l’assassinat de son époux qui l’avait poussée à quitter sa ville d’origine ?

Face à ces trois considérations, chaque Libanais ressent le besoin de fuir la dépression et de chercher une solution individuelle à notre problématique collective. Cependant, ni l’individualisme ni les difficultés d’une installation dans un nouveau pays ne pourront résoudre la dépression, que ce soit à court terme ou parfois même à long terme. Les moyens de subsistance trouvés à l’étranger ne peuvent en aucun cas remplacer les modes de vie perdus au Liban. En effet, le Liban n’est pas simplement un endroit où l’on trouve du travail, où l’on achète une maison, où l’on se marie, où l’on élève des enfants, où on les inscrit à l’école, à l’université, etc. C’est bien plus que cela, c’est une dimension identitaire d’une importance capitale. C’est le pays de notre enfance, le pays où nous avons grandi psychologiquement et intellectuellement, le pays de nos premiers attachements émotionnels, le pays de nos premières réussites, le pays où nous nous sentons confortables, le pays où nous nous sentons une appartenance, le pays où nous avons ressenti de la fierté, de la motivation, de la passion, un sens à notre existence, et bien d’autres significations encore. Toutes ces significations perdent leur sens sans le collectivisme vécu au Liban, au sein de la société libanaise. N’est-ce pas cela qui remplit tous les Libanais de la diaspora de nostalgie les poussant à revenir régulièrement au Liban pour rendre visite à leurs parents, malgré l’absence d’électricité, de sécurité, de soins de santé, d’ordre et de ressources ? Quitter le Liban pour trouver du travail ailleurs, c’est échanger une partie de son identité contre la sécurité financière. La réponse à notre questionnement réside précisément dans les composantes mêmes de notre identité, notamment le collectivisme. Cherchons ensemble une solution collective à notre crise, plutôt que des solutions individuelles, et nous n’aurons plus besoin de nous poser cette question commune que tous les Libanais se posent depuis plusieurs années...

 


Rami Bou Khalil détient un diplôme de docteur en médecine de la Faculté de médecine de l’USJ, obtenu en 2006 qu’il complète en 2008 par un diplôme universitaire des approches comportementales et cognitives des maladies mentales de la même Faculté. En 2010, toujours à la FM, il décroche un diplôme universitaire d'addictologie puis un diplôme de spécialisation en psychiatrie en 2011 et enfin un diplôme universitaire d'éducation en sciences de la santé en 2019. 

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