Les Nomades et les Titans : Histoire de la promotion 1986.
18/11/2018
Falah Aboujaoude (FM Promo 1986)
De nos jours, il est devenu chose courante d'entendre les universitaires se plaindre de leurs petits soucis : une connexion internet trop lente, un congrès mal organisé, un manque de place pour garer les voitures ou même un embouteillage qui les empêchera d'arriver à temps à leur campus. Si seulement ils savaient qu’à notre époque, nous n’avions même pas de campus.
Nous étions de vrais nomades. Notre concours d'entrée, on l'avait passé à l’ESIB, et c'est là qu'on a vu la liste des candidats admis affichée. On nous disait aussi, qu’à cause de la guerre, notre première année allait se dérouler entre Hazmieh et Dekwaneh, dans deux petites écoles louées (les cours avaient lieu à Hazmieh alors que les TP se déroulaient à Dekwaneh et nous, on se baladait entre les deux endroits). On a ainsi passé une année paisible qui s'est achevée par la bonne nouvelle que nous allions retourner au campus Rue de Damas pour notre seconde année.
Cette seconde année a commencé calmement, mais deux mois plus tard, alors qu'on quittait la faculté après une longue journée d'anatomie descriptive avec le professeur Badaro, nous ignorions que tout allait changer. En effet, les quelques minutes qui suivirent ont été le spectacle d'une explosion au stade de Chayla. Heureusement, nous étions tous loin du site de l'explosion. Tous? Non, il y avait un retardataire. C'était le docteur Charles Hamamji : la bombe avait tranché sa jeune vie.
Malgré les efforts des profs, des élèves et du personnel pour remettre le campus en place, la bombe avait fait des dégâts irréparables. Ceci dit, il fallait trouver une solution d'urgence : quelques petites salles du campus Huvelin ont été empruntées, mais malheureusement, la faculté de médecine dentaire n'était pas seulement des tables et des chaises et des livres, c'était de gros laboratoires avec des centaines de "fauteuils dentaires", équippés chacun de diverses installations. Le retour à la rue de Damas étant impossible, nos professeurs et notre doyen le professeur Elie Aramouni ont eu l'incroyable courage de transporter, et en un temps record, la faculté et tout le matériel bout par bout, d'abord à Jounieh puis à l'école Saint-Michel à Zouk, où ils ont réinstallé les laboratoires, les salles de TP, et les salles de travaux cliniques. C'était véritablement un travail de Titans.
Cinq locaux différents en cinq années. C’est entre Jounieh et Zouk que nous allions compléter nos dernières années universitaires, plongés dans une guerre qui ne voulait pas nous épargner : Mirna Asmar, une jeune étudiante de 4ème année était à Jounieh au mauvais endroit et au mauvais moment : une voiture piégée explosa : on ne l'a plus revue depuis.
25 ans plus tard, au bal de l'amicale, nous étions tous réunis pour recevoir nos trophées. Tous ? Non… Il y avait là aussi des absents : quelques uns étaient en voyage, d'autres étaient occupés... Mais il y avait surtout deux personnes qui ne pouvaient pas venir même si elles le voulaient. C'était les Dr. Antoine Ghazal et Emile Bou Chamoun, morts si jeunes .Triste sort, mais comme disait Marcel Pagnol : "Telle est la vie des hommes, quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins."
Nous saisissons cette opportunité pour remercier nos professeurs, ces titans, qui avaient la rude tâche de nous transmettre les secrets de notre profession, mais qui nous ont aussi appris en plus de l'art dentaire l'art de triompher en face des obstacles de la vie et de la mort et qui ont fait de nous les personnes que nous sommes aujourd'hui.
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